Sophie Côté, Ph.D., psychologue de certification avancée en Thérapie de la cohérence

Cette étude de cas est un bon exemple de la créativité et de la spontanéité que nous pouvons utiliser dans notre travail expérientiel. Cela montre également comment, lorsque nous travaillons de manière expérientielle pour transformer un modèle problématique de la réalité avec le processus de reconsolidation thérapeutique de la mémoire (PRT), nous devons évaluer en permanence la progression de l’apprentissage cible sur lequel nous travaillons afin de faire les ajustements nécessaires jusqu’à ce que nous puissions compléter une transformation profonde.
Voici un court résumé du PRT et de sa correspondance avec la Thérapie de la cohérence (Ecker et al., 2012)

Cette patiente dans la trentaine était une femme adulte qui travaille dans le domaine de la santé mentale. Elle était en psychothérapie avec moi et nous nous étions mis d’accord pour utiliser la Thérapie de la cohérence comme approche principale.
Identification du symptôme
Elle a décrit un puissant sentiment de danger qui se manifestait chaque fois qu’elle courait le risque de frustrer une autre personne en ne lui donnant pas ce qu’elle veut. En conséquence, elle s’interdisait de dire « non » à autrui, et s’imposait la pression intense de donner 400% dans tout ce qu’elle faisait. Elle a donné l’exemple récent de son patron qui venait de lui remettre une situation difficile entre les mains, ce qu’elle a senti devoir accepter tout de suite.
Travail de découverte
Le moment était venu de créer des expériences qui lui permettraient de « buter », dans son champ de conscience, sur des prédictions implicites générées par son modèle problématique de la réalité qu’elle avait faites dans cette situation (et dans toutes les situations qui étaient devenues pertinentes pour ce modèle grâce à la généralisation), me les révéler et les maintenir en conscience explicite.
Tout en visualisant son patron dans la situation qu’elle avait décrite, je l’ai guidée pour qu’elle revive la même scène sans produire son symptôme (en mettant ses limites et en refusant la charge supplémentaire au lieu de l’accepter); un exercice de privation de symptôme en Thérapie de la cohérence. Je l’ai invitée à observer la partie d’elle qui devenait inconfortable ou cherchait à éviter ce scénario expérientiel. Elle a identifié la prédiction : « Je vais mourir et je serai abandonnée ». Nous avons pris une instant pour intégrer pleinement la vérité émotionnelle de cette déclaration.
Je lui ai alors proposé un autre type de travail expérientiel, et cette patiente très futée a déclaré : « En ce moment, je sens que je suis obligée d’accepter votre proposition. »
Remarquant que le modèle problématique de la réalité (apprentissage cible) était maintenant activé dans la relation thérapeutique, j’ai également vu une opportunité de jouer un petit tour à son cerveau. À l’époque, j’aidais une amie proche en hébergeant ses lapins pour l’hiver, et l’un d’eux nous a surpris avec une charmante portée de 7 lapereaux. En conséquence, mon bureau a été converti en pouponnière, et grâce à ma pratique 100% en ligne à cause de la pandémie, Maman Lapin a allaité, gambadé et somnolé en compagnie de ses petits tout autour de mon bureau pendant mes séances, à l’insu de mes patients.
J’ai informé ma patiente que j’allais lui jouer un petit tour et je me suis assurée qu’elle était ouverte à l’expérience. J’ai pris délicatement cette maman aux longues oreilles, puis j’ai demandé à ma patiente, tout en caressant ce doux animal juste contre ma poitrine, de me regarder dans les yeux et de faire une déclaration ouverte :
« Si je dis non, vous allez vous mettre tellement en colère que vous allez devenir violente et m’abandonner. Je vais mourir ! »
J’ai vu l’étape 2 du PRT se produire juste devant mes yeux : la patiente a cligné des yeux, s’est reculée dans son siège et a déclaré qu’il était désormais impossible de me voir comme une menace. Elle a rapporté ressentir distinctement à la fois la terreur et la sécurité, et que c’était une « sensation étrange ». Elle a partagé qu’il avait été absolument impossible de tolérer un visage humain dans cet espace très vulnérable, mais en apparaissant à côté du lapin, il était maintenant possible d’atteindre une régulation émotionnelle suffisante pour retrouver une intégration neuronale (Daniel Siegel) et se sentir plus en sécurité. Mon visage est soudainement devenu tolérable.
C’était un premier changement de perspective important (une première transformation), qui m’a permis de faire partie de son travail expérientiel sans être automatiquement perçue comme une menace mortelle par son modèle. Néanmoins, c’était insuffisant. Une partie d’elle était encore terrifiée, et mon visage ne pouvait toujours pas être ressenti seul dans cet espace vulnérable, car il était toujours menaçant à un certain niveau. J’avais besoin de meilleures connaissances / expériences contradictoires. J’ai reposé maman par terre (la plupart des lapins n’aiment pas être tenus dans les bras pendant de longues périodes).
J’ai continué en travail expérientiel, en lui demandant de m’imaginer à côté de son patron et de répéter la déclaration ouverte. J’ai choisi cet exercice pour guider un travail expérientiel qui tenait compte de la progression de ses prédictions après ce premier changement de perspective. J’avais l’intention de juxtaposer sa toute nouvelle expérience de moi à côté de son patron pour voir si cela changerait également son expérience de ce dernier. Bien qu’elle était cognitivement consciente que son patron ne se comportait pas de manière menaçante, une partie d’elle se sentait tout de même menacée. Je voulais aussi l’aider à découvrir des prédictions encore plus détaillées provenant de son modèle problématique de la réalité. À ce stade de la thérapie, son modèle problématique de la réalité contenait toujours la prédiction que les gens allaient devenir enragés et l’abandonner. En conséquence, de manière totalement cohérente avec son apprentissage cible à ce stade de la thérapie, la patiente ne pouvait tolérer de voir ma présence que si la lapine était présente elle aussi. Même si je ne tenais plus la lapine dans mes bras, son schéma s’est adapté de manière cohérente et a spontanément perçu la situation en visualisant la lapine près de mon visage.

qui a participé à ce suivi.
Ce sentiment de sécurité partielle lui a permis de parler de sa mère, qui est atteinte du TSA. Elle explosait souvent dans une rage très dangereuse quand Mme était enfant, et cela n’aurait pas changé. Enfant unique, elle a décrit des situations dans lesquelles sa vie fut réellement menacée. Elle a révélé que lorsqu’elle s’est affirmée il y a 8 ans pendant un conflit, elle a explosé de rage et l’a abandonnée. « J’ai toujours été un objet pour elle; son amour a disparu instantanément. » Elle ne lui a plus adressé la parole depuis.
Je l’ai donc guidée pour qu’elle répète les déclarations ouvertes en expérientiel (voir la première partie de la fiche ci-dessous pour la formulation), cette fois à sa mère, à son patron et à moi (elle me visualisait toujours couverte de lapins duveteux). Elle montrait une bonne intégration (ce qui signifie qu’elle habitait pleinement la vérité émotionnelle du danger qu’elle percevait dans ces situations et la nécessité de produire son symptôme d’assujettissement et d’hyper-performance pour éviter une menace mortelle), mais le matériel contradictoire nécessaire pour créer un décalage franc avec cet apprentissage cible et entraîner une infirmation fondamentale de son modèle problématique de la réalité ne sautillait toujours pas vers la surface de sa conscience.
Il a bondi juste devant mes yeux, cependant. Le type de rage et d’abandon qui la terrifiaient tant, bien qu’ils puissent être typiques des pires cas sur le spectre, ne se produisent pas exactement de cette manière chez les personnes neurotypiques (ou même chez les personnes qui sont ailleurs sur le spectre). Elle m’avait même partagé (dans cette même séance) que, dans le cadre de son travail, elle avait travaillé avec des patients extrêmement instables et violents sans ressentir aucune peur. Son cerveau faisait déjà la différence; il fallait juste l’amener clairement dans son champ de conscience.
Je lui ai donc demandé, d’un air innocent, si le comportement de sa mère était subtil; elle arriva graduellement à constater qu’on sent rapidement que quelque chose n’est pas normal dès qu’on la contredit, parce qu’elle est extrêmement rigide et qu’elle explose. En réalisant cela, le matériel parfaitement contradictoire dont j’avais besoin s’est mis à cabrioler dans son champ de conscience alors qu’elle était toujours en expérientiel devant ces trois personnes, créant les juxtapositions dont j’avais besoin pour guider l’Étape 3 du PRT : elle avait détecté le TSA très rapidement chez une patiente qui avait des comportements très violents. Cette patiente avait été évalué par plusieurs psychiatres dans plusieurs centres différents, et avait été diagnostiquée à tort comme souffrant d’un TDA/H avec troubles graves du comportement. Son opinion clinique avait été confirmée par son équipe interdisciplinaire et sa perspective clinique très juste avait été reconnue. Ma patiente avait un radar clinique bien réglé qui était parfaitement capable de détecter ce genre de danger quand il était vraiment là.
En conséquence, sans aucune suggestion supplémentaire de ma part, la patiente a soudainement rebondi sur sa nouvelle vérité émotionnelle : « Je suis en safe, safe, safe ! » Nous avons rédigé une carte-rappel juxtaposant son ancien modèle problématique de la réalité, et le nouveau modèle de la réalité tel qu’il a été réécrit par son expérience de transformation au cours de cette session, afin de l’aider à habiter explicitement sa nouvelle perspective, et également à remarquer les manifestations de ces deux modèles dans sa vie quotidienne (l’ancien, si toujours actif et le nouveau) :
Si je vous déplais ou vous contrarie, vous allez faire comme Mère : vous allez entrer dans une rage meurtrière et m’abandonner comme un objet; votre amour va s’en aller instantanément. Je vais mourir et ça me terrifie! Alors il faut que je fasse tout pour ne jamais vous contrarier ou vous déplaire en donnant mon 400% et en m’interdisant de vous dire « non »; c’est le seul moyen de me protéger de cette terrible menace.
Un instant…!
Une Mère, c’est pas discret! Si vous êtes comme Mère (et c’est toujours possible d’en rencontrer une autre un jour), il va y avoir des signes évidents que je suis capable de reconnaître tout de suite. Si je m’interdis de vous contrarier, je ne pourrai jamais connaître vos limites et voir vos capacités de compassion et de bienveillance. Je suis parfaitement capable de reconnaître rapidement un TSA violent quand j’en rencontre un. Je suis safe, safe, safe !
La patiente a ressenti un profond soulagement à la fin de la séance, et c’était un bond en avant intéressant pour elle. Elle a rapporté que pendant les semaines qui ont suivi, visualiser des lapins fut un nouveau déclencheur puissant pour la régulation émotionnelle, ce qui a amélioré ses capacités d’intégration neuronale.
Lors de la session suivante, j’ai fait l’étape de vérification afin d’évaluer si le modèle problématique de la réalité sur lequel nous travaillions était encore intact, en partie ou en totalité. Certains marqueurs indiquaient une transformation partielle : elle avait teint ses cheveux (une façon de prendre soin d’elle et forme d’affirmation de soi qui la rendait, du même coup, plus visible, ce qui nécessitait un meilleur sentiment de sécurité pour être autorisé par son modèle), elle s’était affirmée devant son patron, ainsi que dans d’autres situations, sans retenue et sans se sentir menacée. Les gains avaient été atteints et maintenu sans effort particulier.
Toutefois, elle se sentait encore activée lorsqu’elle lisait « vous allez m’abandonner comme un objet » et « votre amour va s’en aller instantanément » sur sa carte-rappel. Elle avait encore besoin d’adresser la douleur et la tristesse associées au chagrin lié à plusieurs relations : un ex-partenaire, une amie proche, sa mère et sa fille.
En guidant à nouveau un travail expérientiel en Thérapie de la cohérence, j’ai vite remarqué que l’intensité de sa connexion avec sa souffrance devenait élevée et pouvait nous faire sortir de la fenêtre d’intensité limbique appropriée pour la reconsolidation de la mémoire (qui doit être ni trop, ni trop peu). Je lui ai proposé de travailler à nouveau avec Maman Lapine, et elle a immédiatement accepté. J’ai tourné mon ordinateur portable pour lui montrer l’animal, qui était confortablement étendu sur mon bureau. J’ai continué à parler à la patiente et me suis assurée que mes mains étaient toujours visibles sur l’écran via la webcam pour qu’elle sente que j’étais toujours là.
Cela a créé une autre puissante expérience contradictoire et de juxtaposition pour elle, en activant un nouveau modèle problématique de la réalité dans sa mémoire émotionnelle, dont les prédictions étaient directement contredites par l’expérience qu’elle était en train de vivre. Contrairement aux prédictions de ce modèle maintenant explicite, quelqu’un a pu a) remarquer qu’elle souffrait, b) être capable de sentir avec précision ce dont elle avait besoin c) (dans les mots de la patiente) « se déranger » pour aller le chercher et le lui apporter. Cette expérience intense d’accordage affectif (Daniel Siegel) était complètement inattendue pour son modèle de réalité problématique, qui s’attendait à l’inverse, et est entré en décalage immédiat et radical avec lui. Une autre juxtaposition a été réalisée lorsque je suis restée avec elle pendant qu’elle regardait la lapine, validant et comprenant l’effet profondément apaisant et réconfortant qu’elle avait sur elle.
Et une fois qu’elle a retrouvé une intégration neuronale suffisante et s’est sentie prête à reprendre l’exercice expérientiel que nous faisions, elle a eu une autre surprise. Quand j’ai tourné mon ordinateur portable pour continuer la séance, elle a remarqué mes yeux pour la toute première fois. Cela nous a permis de détecter immédiatement un marqueur de transformation, car elle était maintenant capable de faire l’expérience de mon visage sans rien d’autre, même si elle se sentait vulnérable et exposée, et se sentir quand même apaisée, réconfortée, accompagnée. Tout comme avec les lapins, elle a rapporté que dire mon nom déclenche maintenant cette réponse profonde de réconfort, de sécurité et d’apaisement. Nous avons pu reprendre le travail sur son chagrin envers ces relations, et elle a terminé la séance avec un sentiment accru de sécurité. Sa tristesse s’était dissipée.
À la suite de notre travail, de nouvelles vérités émotionnelles sur de nombreuses autres façons dont elle était déjà capable de se protéger avaient émergé et ont complété la réécriture de son ancien modèle de réalité problématique, rendant obsolète la solution unique de produire le symptôme (ne jamais dire «non» et donner son 400%) :
Je réalise aussi que…
Mère est la seule qui me traite vraiment comme un objet tout le temps. Les autres comme Amie et Ex, c’est intermittent, et par immaturité seulement.
Si je donne mon 400% dans mes relations, ça fait des relations très inégales.
J’ai pas fait d’erreur : j’ai effectivement été capable de détecter rapidement dans quoi j’étais. J’ai donné de vraies chances honnêtes à des gens qui avaient un vrai potentiel de réaliser mon rêve avec moi… mais qui n’ont pas fait leur part quand c’était le temps… et comme de fait, je me suis retirée à ce moment sans tomber dans le piège. Je me sens droite, dans le juste, vue, et entendue.
Sur ce, permettez-moi de faire un saut hors de mon bureau en vous souhaitant une douce journée !
Ecker, B., Ticic, R., Hulley, L. (2012). Unlocking the emotional brain: Eliminating symptoms at their roots using memory reconsolidation.-